Aide à la relecture et remerciements à : Anthony Halimi,  Joshua Lavallée, Théo Chaumeil, Robin Vervaeke, Benjamin Heng

 

Dans cet article, nous allons nous concentrer sur ces notions, leurs définitions, leurs outils ainsi que leurs rôles et leurs intérêts dans la pratique quotidienne. Dans un souci de clarté, cet article, qui sera composé de 3 parties, abordera de manière globale ces notions et sera complété de plusieurs articles annexes abordant le screening en détail.

Avant d’aborder le sujet principal, nous allons faire un bref rappel sur l’accès direct en kinésithérapie en France aujourd’hui.

Les kinésithérapeutes sont définis comme professionnels de santé et profession paramédicale. De ce fait, et comme inscrit dans le Code de la santé publique, les kinésithérapeutes peuvent prendre en charge sous prescription médicale des patients atteints de pathologies organiques. Ces prescriptions ont une validité de 1 an.
Code de la santé publique sur Legifrance: Masseur-Kinésithérapeute

Cette notion est importante car plusieurs mois peuvent s’écouler entre le moment où le patient a consulté son médecin et prendra rendez-vous chez le kinésithérapeute pour sa rééducation. Pendant ce laps de temps, l’état du patient peut évoluer au point de ne plus être du ressort d’une prise en charge kinésithérapeutique.

Il existe aussi la possibilité qu’un patient n’effectue pas le nombre de ses séances chez le kinésithérapeute dans son entièreté et remette à plus tard la poursuite de son traitement.

Il est aussi défini dans le Code de santé publique que depuis 2016 : « En cas d’urgence et en l’absence d’un médecin, le masseur-kinésithérapeute est habilité à accomplir les premiers actes de soins nécessaires en masso-kinésithérapie. Un compte rendu des actes accomplis dans ces conditions est remis au médecin dès son intervention. »

Note juridique du conseil national / La notion d’urgence en kinésithérapie

Même si ce cadre reste encore flou, cela autorise déjà partiellement un accès direct en kinésithérapie.
Il est aussi défini que le kinésithérapeute participe dans le cadre de son champ de compétence à des actes de prévention.

Toutes les situations décrites ci-dessus, ci-dessus constituent des réalités de terrain où être formé et posséder des connaissances en triage ou diagnostic d’exclusion s’avèrent utiles et importantes.

Il existe plusieurs définitions du screening, dont la plus pertinente est sans doute celle de l’université de médecine d’Oxford:

« Medical screening is the systematic application of a test or inquiry to identify individuals at sufficient risk of a specific disorder to benefit from further investigation or direct preventive action (these individuals not having sought medical attention on account of symptoms of that disorder). Key to this definition is that the early detection of disease is not an end in itself ; bringing forward a diagnosis without altering the prognosis is useless and may be harmful … »

« Le dépistage médical est l’application systématique d’un test ou d’une enquête visant à identifier les personnes présentant un risque suffisant de développer un trouble spécifique pour bénéficier d’une investigation plus poussée ou d’une action préventive directe (ces personnes n’ayant pas consulté un médecin en raison des symptômes de ce trouble). La clé de cette définition est que la détection précoce de la maladie n’est pas une fin en soi; présenter un diagnostic sans modifier le pronostic est inutile et peut être délétère… »oxfordmedicine.com

Le but du screening en kinésithérapie n’est pas de poser un diagnostic sur une pathologie mais plutôt de déterminer si le patient peut être pris en charge pour des soins kinésithérapeutiques ou non. Le screening sera donc utile pour faire le « triage » des patients selon plusieurs catégories :

  • Absence de « Red flags » (Drapeaux rouges) : le patient peut être pris en charge pour des soins en kinésithérapie.
  • Présence de facteurs de risque ou des drapeaux rouges non-spécifiques : le patient peut être pris en charge pour des soins en kinésithérapie dans un premier temps à condition qu’il consulte un médecin à court terme pour investiguer les éléments à risque.
  • Présence de drapeau(x) rouge(s) : le patient ne peut être pris en charge pour des soins kinésithérapeutiques et doit consulter un médecin ou un spécialiste soit sur un court terme (1 ou 2 jours), soit pour une urgence absolue (Appel du SMUR ou du SAMU). Attention, parfois la présence d’un drapeau rouge ne sera pas une raison suffisante pour réorienter le patient ou être une contre-indication à la kinésithérapie (se référer aux drapeaux rouges non spécifiques). Ils peuvent servir d’indicateurs afin d’évaluer l’évolution des séances et le pronostic du patient.

Afin de définir le screening ou le triage en kinésithérapie, nous avons besoin de connaitre la définition des « Red Flags » (drapeaux rouges) :

« Ce sont des signes d’alertes pour des pathologies sévères (= prise en charge médicale). La présence d’un ou plusieurs drapeaux rouges nécessite une consultation chez un médecin généraliste ou spécialiste sur un court terme. Les drapeaux rouges ne représentent pas tous une urgence vitale et parfois nécessitent la présence de plusieurs d’entre eux pour orienter le choix du thérapeute. Cela n’est pas sans risque et peut diriger le thérapeute vers de mauvais choix. [Size, 2007] » [Lüdtke, 2015]

Il existe également la notion de drapeaux rouges non-spécifiques qui ne sont pas forcément définis comme étant une contre-indication à la prise en charge en kinésithérapie mais pouvant influencer le choix du thérapeute de renvoyer le patient chez le médecin au début ou au cours des séances. Voici une liste non exhaustive de quelques drapeaux rouges non spécifiques qui peuvent illustrer cette notion :

  • Anamnèse et suite du bilan ont des incohérences
  • A la suite de plusieurs séances (3 ou 4) l’état du patient est inchangé (ni d’amélioration, ni de dégradation)
  • Aucune évolution par rapport au pronostic initial posé lors du bilan
  • Aucune hypothèse ne correspond au tableau clinique du patient
  • L’état général du patient se dégrade au court du temps
  • Le patient décrit des symptômes viscéraux en relation avec des symptômes musculosquelettiques

[Primary Care for the Physical Therapist : Examination and Triage ; W. Boissonnault ; 2010] 

En pratique, le screening consiste à ce que le kinésithérapeute ait conscience de plusieurs notions, qui ensemble permettent l’élaboration et l’intégration du screening dans sa pratique quotidienne.

Le raisonnement clinique : « C’est le processus par lequel un thérapeute interagit avec un patient, collecte des informations, génère et teste des hypothèses, et détermine le diagnostic et le traitement optimaux en fonction des informations obtenues. Il a été défini comme « un processus inférentiel utilisé par les praticiens pour collecter et évaluer des données et pour porter des jugements sur le diagnostic et la gestion des problèmes des patients » »
En savoir plus sur le raisonnement clinique…

Il est fréquent de retrouver une confusion entre le diagnostic d’exclusion (screening) et le diagnostic différentiel qui sont tous deux des éléments du raisonnement clinique. Selon W. Boissonnault 2010 et C. Cook 2017, le diagnostic d’exclusion est lié à l’élimination des drapeaux rouges alors que le diagnostic différentiel est associé à un processus permettant d’identifier l’hypothèse la plus appropriée parmi un ensemble d’hypothèses possibles.
Pour faire simple, le diagnostic d’exclusion répond à la question : « Le problème du patient est-il traitable par le champ de compétence du kinésithérapeute ? » alors que le diagnostic différentiel serait associé à « Qu’est ce qui emmène mon patient à consulter ? » et  arrive en second plan après avoir pu répondre oui à la première question.

Le thérapeute recueille des informations pour développer ses propres hypothèses. [Edward, Jones; 2004]

Le risque, lors de l’établissement d’hypothèses, est que le thérapeute soit soumis à un facteur d’erreur et à des biais qui peuvent influencer ses choix [Size ; 2007]. Il existe plusieurs outils que le kinésithérapeute peut avoir en sa possession afin d’essayer d’avoir un raisonnement clinique le plus objectif possible et lui permettant donc de minimiser ses erreurs. Voici plusieurs exemples d’éléments permettant d’améliorer son raisonnement clinique :

  • Eviter de tomber dans le piège de différents biais. Le plus fréquent est de confondre un lien de corrélation avec un lien de cause à effet.
  • Le diagnostic par soustraction (utilisé par Mark Laslett pour la région lombaire [Clinical classification in low back pain: bestevidence]) qui se base sur la prévalence d’apparition de pathologies responsables de symptômes pour la région lombaire, utilisant un système d’exclusion de l’hypothèse la plus fréquente à l’hypothèse la moins fréquente.
  • Le principe de parcimonie ou rasoir d’Occam qui est une démarche logique permettant lorsque l’on est face à plusieurs hypothèses de choisir la moins couteuse d’un point de vue cognitif. En exemple, un patient vient vous voir en décrivant 3 symptômes. Est-il plus couteux d’établir comme hypothèse que ces 3 symptômes viennent d’une seule maladie ou de 3 maladies différentes ? [Cortecs; R. Monvoisin & D. Caroti; 2011]

C’est une mise en application direct du théorème de Bayes qui pourra intéresser les plus matheux d’entre nous et qui est un outil assez intéressant pour l’élaboration et le choix d’hypothèses. Si cela vous intéresse, je vous suggère de regarder cette vidéo qui explique de manière simple ce théorème.

Il existe bien d’autres aspects, qui seront vu plus en détail dans un article qui y sera pleinement consacré, permettant de rester critique et objectif dans son raisonnement clinique.

Dans l’article suivant, nous aborderons les autres outils à disposition du kinésithérapeute permettant d’améliorer le raisonnement ainsi que les techniques d’investigations nécessaires à la réalisation d’un diagnostic d’exclusion

Yvan SONJON

Bibliographie :

Primary Care for the Physical Therapist: Examination and Triage ; W. Boissonnault ; 2010

Examen clinique de l’appareil locomoteur ; Joshua Cleland, Shane Koppenhaver ; Elsevier Masson 2012

Differential diagnosis for physical therapist ; Catherine Cavallaro Goodman, Teresa E. Kelly Sidner ; Elsevier 2103

Orthopedic Physical Examination Tests: An Evidence-based Approach ; Chad E. Cook ; Pearson 2011

Clinical Reasonning ; Beate Klemme, Gaby Siegmann ; Thieme Verlag 2015

Screening in der Physiotherapie ; Kerstin Lüdtke, Lucia Grauel, Daniela Laube ; Thieme Verlag 2015

Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles ; N. Pinsault & R. Monvoisin ; 2014

Medical Screening for the Orthopedic Physical Therapist ; Ed Mullingan ; Southwestern Medical Center

Red Flags : To screen or not screen ; Michael D. Ross, William G. Boissonnault ; JOSPT 2010

Medical Screening for Red Flags in the diagnosis and Management of Musculoskeletal Spine Pain ; Philip S. Sizer ; 2007

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email