Aide à la relecture et remerciements à :  Joshua Lavallée, Théo Chaumeil, Robin Vervaeke, Benjamin Heng

Pour la suite de notre série d’articles sur le screening ou triage en kinésithérapie, nous allons aborder une thématique plus technique, qui concerne les outils utiles dans notre pratique pour l’élaboration d’un examen subjectif et d’un examen physique du patient dans le but de l’exercice du triage. Après avoir parlé des biais potentiels qui pourraient fausser notre jugement, nous allons poursuivre avec un peu de sémiologie et de métrique clinique.

La sémiologie :

C’est la partie de la médecine qui étudie les symptômes et les signes cliniques traduisant la lésion d’un organe (pathologie organique) ou le trouble d’une fonction (trouble fonctionnel). C’est une base théorique importante qui permet de repérer et d’assembler des éléments utiles pour développer des hypothèses lors de du bilan. Pour rappel, le diagnostic d’exclusion n’a pas pour but de révéler une pathologie ou de poser un diagnostic mais plutôt de savoir si le patient est traitable ou non en kinésithérapie [Boissonnault ; 2010].

La sémiologie peut être complétée par des examens paracliniques tels que l’imagerie médicale ou les analyses sanguines si cela est nécessaire.

Dans ce domaine, il est important de faire la distinction entre deux notions [C. Cook ; 2017] :

  • Les signes cliniques : Eléments qui pouvant être mis en évidence par une personne autre (médecin, chirurgien, kinésithérapeute…) que le patient lui-même. Ils peuvent être mesurables, quantifiables ou observables de manière objective (ex : prise de tension, mesure d’une amplitude…)
  • Les symptômes : Eléments décrits par le patient de manière subjective, selon son propre ressenti et ne pouvant pas être observés par une personne tierce (ex : qualité d’une douleur, sensation de blocage ou de pincement…)

Ces deux notions sont très importantes afin de distinguer un trouble fonctionnel d’une pathologie.

Le triage du patient s’effectue lors de l’élaboration du bilan kinésithérapeutique. Celui-ci comporte un examen subjectif (aussi appelé anamnèse), durant lequel le patient décrit ses symptômes, l’historique qui le pousse à venir consulter, ainsi que son historique médical. Une anamnèse bien réalisée permet déjà de réduire la gamme des hypothèses possibles. [Viewpoint: suggestions for a shift in teaching clinical skills to medical students: the reflective clinical examination.; Benbassat; 2005] / [The diagnostic usefulness of the history of the patient with dyspnea; Schmidt et al; 1986]

Afin de faciliter l’examen subjectif du patient et dans l’intérêt de ne pas faire l’impasse sur des questions importantes qui pourraient mettre en évidence un ou plusieurs drapeaux rouges, le kinésithérapeute pourra avoir recours à un questionnaire d’admission à faire remplir au patient avant de commencer le bilan. Ce questionnaire peut avoir un intérêt particulier pour le clinicien ainsi que de manière pluridisciplinaire, notamment dans la conception du dossier médical. [Documentation of Red Flags by Physical Therapists for Patients with Low Back Pain; Pamela; 2007]

Lors de l’examen subjectif, le patient explique les raisons qui l’ont amenées à venir consulter. Il décrit ses symptômes selon son propre ressenti. Le patient peut être lui-même biaisé lors de ses explications par rapport à sa culture, ses croyances ou son passif avec d’autres cliniciens ou formes de thérapies. Il y a également un risque que le clinicien soit biaisé à son tour par rapport à ses propres croyances, expériences (biais de confirmation) et fasse fausse route lorsqu’il émettra ses hypothèses. Aux Etats-Unis, les erreurs médicales sont la 3ème cause de décès. [Medical error—the third leading cause of death in the US; Makary; 2016]

Il est donc important de ne pas se limiter aux symptômes décris par le patient mais aussi de pratiquer un examen physique de ce dernier en se basant sur la clinimétrie.

 

La clinimétrie :

Au cours de l’examen physique, le clinicien utilise les résultats pour modifier davantage la probabilité de la gamme de ses hypothèses, en recycler certaines, en exclure d’autres, créer une liste des imperfections et aboutir à une hypothèse quant à la possibilité de prendre en charge le patient ou non. [C. Cook ; 2017] Il pourra faire le même cheminement lors du diagnostic différentiel pour établir un pronostic et un plan de thérapie.

Cette partie permet souvent de détecter des signes cliniques plus objectifs que les symptômes et donnant la possibilité à la fois d’affiner ses hypothèses mais aussi d’améliorer la communication pluridisciplinaire. Les tests utilisés dans le domaine neuromusculosquelettique sont soumis à des études permettant d’analyser leur fiabilité (= reproductibilité), leur validité et l’intérêt qu’ils peuvent apporter au bilan (inclusion ou exclusion). Néanmoins, il existe parfois des lacunes méthodologiques qui peuvent mener à une surestimation de l’exactitude d’un test de diagnostic, en particulier lorsque certaines études comportent des patients non représentatifs ou appliquent des normes de référence différentes. Le nombre de publications continuant à augmenter à ce jour, permettra dans le futur de réduire les biais. [Empirical evidence of design-related bias in studies of diagnostic tests; Lijmer; 2000] / [Sources of variation and bias in studies of diagnostic accuracy: a systematic review.; Whiting; 2004]

Afin de pouvoir au mieux comprendre les tests et les études à leur sujet, il existe un moyen les évaluer. C’est lorsque celui-ci est confronté au Gold Standard ou référence standard (Etalon d’or), qui est le meilleur test, réputé supérieur au test à évaluer, disponible à un moment donné afin de confirmer un diagnostic. En raison de sa définition même, un test de référence est régulièrement remis en question et remplacé par un autre plus fiable, lorsque cela est possible. Dans le cas d’une prise en charge neuromusculosquelettique, le gold standard est très souvent un acte d’imagerie médicale. [« Gold standard » is an appropriate term.; Versi; 1992]

Dans une étude scientifique, un test de triage ou un test diagnostic est étudié selon plusieurs critères, qui seront étudiés plus en détails lors d’un prochain article :

  • La fiabilité ou reproductibilité : c’est la capacité d’un test à donner le même résultat chez les mêmes sujets examinés. On distingue 2 types de fiabilité : la fiabilité intra-examinateur (capacité d’un unique examinateur à obtenir le même résultat plusieurs fois sur un même patient) et la fiabilité inter-examinateur (capacité de deux ou plusieurs examinateurs à obtenir le même résultat sur un même patient). Afin de tester au mieux la fiabilité, celle-ci doit être lors de son analyse, confrontée aux résultats dus au hasard que pourrait donner ce test, afin de voir si ce dernier se montre supérieur à un simple résultat aléatoire. [The Kappa Statistic in Reliability Studies: Use, Interpretation, and Sample Size Requirements; Sim et al; 2005]

Si un test n’a pas montré une bonne fiabilité, il ne sera pas utile d’aller plus loin car le test risque d’avoir un biais trop important pour affiner les hypothèses avec un minimum d’erreur.

  • Validité ou précision du diagnostic : c’est la capacité d’un test clinique à plus ou moins bien confirmer ou infirmer la présence d’un trouble spécifique. C’est dans cette étape qu’il s’avère important de comparer les résultats du test avec ceux du Gold standard. Cette précision est exprimée en termes de Valeurs Prédictives Positives ou Négatives (VPP et VPN), de Sensibilité et de Spécificité, ou encore de Ratio de Vraisemblance (RV).

Sans rentrer dans les détails, lors de l’acte de triage, il est important de retenir ce qu’est le ratio de vraisemblance qui correspond au calcul de probabilité exprimant à la fois la sensibilité (capacité du test à bien diagnostiquer les patients ayants la pathologie) et la spécificité (capacité du test à exclure les patients n’ayants pas la pathologie) d’un test. [Diagnostic tests 4: likelihood ratios; Deeks; 2004]

Le RV est simple d’utilisation et on obtient pour un test un RV positif (RV+) et un RV négatif (RV -).

Le RV + est un indicateur d’utilité du test dans le but d’inclure une hypothèse alors que le RV – indique la capacité d’un test à exclure une hypothèse.

LR+ = RV+                       LR- = RV-

Dans ce tableau, on peut lire à partir de quel résultat un test sera valide ou non pour confirmer ou écarter une hypothèse. Il est important de prendre en compte qu’une hypothèse confirmée par un test n’est jamais sûre mais pourra être placée parmi les plus probantes alors qu’une hypothèse écartée n’est pas non plus nécessairement à rejeter mais plutôt à classer parmi les moins probantes. Le RV+ d’un test est considéré comme valide lorsque son résultat est ≥ 5 alors que le RV- est considéré comme valide lorsque son résultat est ≤ 0,2.

Tous ces éléments et ces outils que nous avons en notre possession peuvent nous permettre d’aborder le thème du triage et de l’accès direct plus sereinement. Il est important de ne pas privilégier un seul abord mais d’utiliser tous ces outils dans un même contexte et avoir conscience de l’importance de choisir ses tests cliniques judicieusement. Comme le montre cette étude, utiliser le théorème de Bayes avec les ratios de vraisemblance offrent également la possibilité d’anticiper l’effet du résultat d’un test sur la probabilité de la maladie recherchée, et donc d’en évaluer la pertinence clinique avant de l’effectuer [Bayes theorem and likelihood ratios; Nendaz, Perrier; 2004] et donc de pouvoir choisir un test de la manière la plus judicieuse qu’il soit. C’est aussi pour cette raison que le choix d’aborder seulement ratios de vraisemblance (RV+ et RV-) a été fait et car ils s’avèrent intéressants lors du choix des tests à employer pendant le bilan.

Après s’être concentré sur les compétences que le kinésithérapeute requiert afin d’améliorer son diagnostic d’exclusion, nous nous pencherons dans le prochain article sur le comportement à adopter lorsque l’on découvre un drapeau rouge chez un patient. Nous aborderons également, la fréquence à laquelle ces derniers peuvent apparaître lors de l’élaboration d’un bilan diagnostic kinésithérapeutique.

Yvan SONJON

Bibliographie :

Primary Care for the Physical Therapist: Examination and Triage ; W. Boissonnault ; 2010

Examen clinique de l’appareil locomoteur ; Joshua Cleland, Shane Koppenhaver ; Elsevier Masson 2012

Differential diagnosis for physical therapist ; Catherine Cavallaro Goodman, Teresa E. Kelly Sidner ; Elsevier 2103

Orthopedic Physical Examination Tests: An Evidence-based Approach ; Chad E. Cook ; Pearson 2011

Clinical Reasonning ; Beate Klemme, Gaby Siegmann ; Thieme Verlag 2015

Screening in der Physiotherapie ; Kerstin Lüdtke, Lucia Grauel, Daniela Laube ; Thieme Verlag 2015

Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles ; N. Pinsault & R. Monvoisin ; 2014

Medical Screening for the Orthopedic Physical Therapist ; Ed Mullingan ; Southwestern Medical Center

Red Flags : To screen or not screen ; Michael D. Ross, William G. Boissonnault ; JOSPT 2010

Medical Screening for Red Flags in the diagnosis and Management of Musculoskeletal Spine Pain ; Philip S. Sizer ; 2007

 

 

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